Suisse, pays d’immigration :
besoins en logement de la population étrangère

4 août 2025

Au cours des trois dernières années, l’immigration a été particulièrement dynamique. L'immigration permet à la Suisse de rester jeune, garantit la disponibilité de main‑d’œuvre qualifiée et soutient l’AVS. Mais elle fait aussi grimper les loyers, intensifie la circulation et aggrave la pénurie de logements. Comment cette demande supplémentaire de logements impacte‑t‑elle concrètement le marché – et en quoi diffère‑t‑elle de celle des Suissesses et des Suisses ?

Résumé

Forte immigration au cours des trois dernières années

Au cours des trois dernières années, la Suisse a connu une croissance démographique remarquable (figure 1). L’immigration, moteur principal de cette dynamique depuis de nombreuses années, a récemment pris une ampleur exceptionnelle. Deux facteurs expliquent cette accélération : Premièrement, le boom de l’emploi entre 2022 et 2024 ainsi que la pénurie aiguë de main-d’œuvre qualifiée ont entraîné l’arrivée annuelle moyenne d’environ 75 000 travailleurs supplémentaires. Deuxièmement, près de 63 000 personnes fuyant la guerre en Ukraine ont trouvé refuge en Suisse sous le statut de protection S.

Figure 1

Rôles essentiels de la migration : stabiliser le potentiel de main-d’œuvre, freiner le vieillissement et soulager le système de prévoyance

L’immigration joue un rôle central en Suisse : elle permet de stabiliser le potentiel de main-d’œuvre, de ralentir le vieillissement démographique et d’alléger le poids pesant sur le système de prévoyance vieillesse – autant d’éléments essentiels pour préserver la performance durable du pays.

Assurer le potentiel de main-d’œuvre

Aujourd’hui, la migration constitue le principal moteur de l’offre de travail. Sans elle, le nombre de personnes en âge de travailler commencerait à diminuer dans un avenir proche – et ce, malgré une croissance modérée de la population totale. Selon l’OFS, environ 5,3 millions de personnes étaient actives sur le marché du travail en Suisse en 2024 ; environ deux tiers des nouveaux emplois créés ont été pourvus par des personnes venues de l’étranger. Cette importance est particulièrement marquée dans certaines professions clés : dans le domaine médical, par exemple, 44 % des médecins nouvellement reconnus en Suisse possèdent un diplôme étranger. La migration demeure donc indispensable au bon fonctionnement de l’économie suisse.

Ralentir le vieillissement

La population résidente étrangère a un âge médian de 37 ans, soit 8 ans de moins que la population suisse (45 ans). Seuls 8 % des personnes sans passeport suisse ont 65 ans et plus, contre 24 % chez les Suisses. Avec l’arrivée à la retraite progressive des baby-boomers, cet écart va encore s’accentuer. À cela s’ajoute un taux de natalité plus élevé chez les femmes étrangères – 1,6 enfant par femme contre 1,2 pour les Suissesses. Ainsi, la migration agit comme un important facteur d’amortissement face à la pression du vieillissement démographique.

Renforcer l’assiette des cotisations

Les personnes immigrées contribuent de manière disproportionnée au financement de la prévoyance vieillesse : en 2022, les personnes sans passeport suisse ont versé environ 34 % des cotisations AVS, tout en ne percevant que 18 % des prestations. Ce solde de transferts positif soulage le système de répartition et stabilise l’AVS.

Effets secondaires de la migration

Les effets positifs de la migration s’accompagnent de certains défis. Un solde migratoire élevé aggrave la pénurie de logements : la demande en logements dépasse largement l’offre. Parallèlement, le volume du trafic augmente, mettant les routes et les transports publics sous pression. Dans certains secteurs à bas salaires, on observe localement des effets d’éviction de la main-d’œuvre locale. Enfin, des coûts d’intégration surviennent – notamment pour les cours de langue et l’aide sociale –, pris en charge principalement par les communes accueillant de nombreux nouveaux arrivants.

Migration : opportunité, responsabilité et équilibre

Aujourd’hui, la migration constitue un important facteur de stabilisation démographique et économique pour la Suisse. Elle assure le potentiel de main-d’œuvre, ralentit le vieillissement de la population et renforce la base de financement des assurances sociales. En parallèle, elle engendre des tensions – notamment en matière de logement, d’infrastructures et d’intégration – qui exigent une gestion politique active. L’enjeu essentiel sera de tirer parti du dividende démographique de la migration sans compromettre son acceptation au sein de la société.

Évolution des pays d’origine

Actuellement, près de 75 % des personnes immigrées en Suisse proviennent d’Europe, avec une forte représentation des pays voisins : l’Allemagne, la France et l’Italie concentrent près de 40 % du solde migratoire. Cependant, le vieillissement démographique et la faible natalité touchent l’ensemble du continent. À moyen terme, la diminution du réservoir de main-d’œuvre européenne pourrait entraîner une diversification des origines migratoires vers d’autres régions du monde.

Figure 2

Comment la migration influence-t-elle la demande de logements ?

L’évolution démographique – en termes de volume, de structure, de modes de vie et de besoins – influence fortement la demande de logements. Face au regain migratoire et dans un contexte de poursuite attendue de la croissance et de la diversification de la population, nous avons souhaité analyser les implications pour le marché immobilier:

  • Quelles régions attirent particulièrement les nouveaux arrivants ?  
  • Comment leur demande se distingue-t-elle de celle de la population suisse ?
  • Quelles en sont les conséquences sur la demande, les prix et les loyers ?

Canton de Genève : solde migratoire le plus élevé malgré la pénurie de logements

En 2024, le canton de Genève présente le plus fort solde migratoire en proportion de sa population (+1,9 %). Ce dynamisme s’explique par une économie robuste, un marché du travail attractif et une qualité de vie élevée. Ce constat peut néanmoins surprendre, dans la mesure où Genève souffre d’une pénurie aiguë de logements (taux de vacance : 0,46 % en 2024) et de loyers de l’offre particulièrement élevés. La présence d’organisations internationales continuait certes d’attirer des expatriés à fort pouvoir d’achat jusqu’à récemment, mais cette tendance pourrait bien s’inverser suite aux récentes coupes budgétaires américaines dans l’aide internationale (pour plus d’informations, voir l’article de blog suivant : La Genève internationale : défis et opportunités pour un territoire en transformation).

Centres économiques : un jeu d’allers et retours migratoires

Outre Genève, les cantons du Valais, Bâle-Ville, Schaffhouse, Neuchâtel et Zurich affichent eux aussi un solde migratoire supérieur à la moyenne. À noter toutefois que les grands pôles économiques de Genève, Bâle-Ville et Zurich enregistrent parallèlement un solde intercantonal (arrivées intercantonales moins départs intercantonaux) négatif : ces cantons attirent les migrants fraîchement arrivés, mais certains d’entre eux choisissent ensuite de s’installer dans des régions plus abordables. À l’inverse, le Valais et Schaffhouse enregistrent un double solde positif - migratoire et intercantonal.

Schaffhouse et Fribourg : pôles d’attraction de la migration interne

Bien que Fribourg affiche un taux de migration internationale inférieur à la moyenne, il présente le deuxième taux le plus élevé de migration intercantonale, juste derrière Schaffhouse (figure 4). Le canton attire peu de migrants venus de l’étranger, mais d’autant plus de personnes déjà établies en Suisse.

Figure 3

Figure 4

Migration et taux de propriété : un fossé persistant

En 2023, 44,1 % des ménages composés exclusivement de personnes de nationalité suisse étaient propriétaires de leur logement, contre seulement 27,5 % pour les ménages mixtes et 12,3 % pour les ménages étrangers (figure 5). Ces chiffres montrent que, même après plusieurs années en Suisse, la grande majorité des migrants reste locataire. Ce constat s’explique aisément : la population étrangère est en moyenne plus jeune, envisage parfois son séjour comme temporaire, et dispose de ressources financières plus limitées, notamment en matière d’héritage immobilier. L’écart s’est creusé au cours de la dernière décennie : entre 2013 et 2023, la part de propriétaires a reculé de 0,5 point chez les ménages suisses, contre 1,8 point chez les ménages étrangers.

Figure 5

Les résidents étrangers consomment moins d’espace habitable

La population étrangère occupe en moyenne moins d’espace résidentiel. Les ménages suisses disposent en effet de 1,9 pièce par personne, contre seulement 1,4 pour les ménages étrangers. Cet écart se reflète également dans la surface habitable par personne, nettement inférieure chez les étrangers (figure 6).

Figure 6

Déménagements : une population étrangère plus mobile et flexible

Les données de l’OFS montrent une nette différence de mobilité résidentielle entre Suisses et étrangers. En 2023, un ressortissant français vivant en Suisse était plus de deux fois plus susceptible de déménager qu’un citoyen suisse. Les résidents étrangers sont non seulement davantage enclins à quitter la Suisse, mais ils présentent aussi une plus forte propension à déménager à l’intérieur du pays — que ce soit au sein de la même commune, dans une autre commune du canton, ou dans un autre canton.

Figure 7

La distance moyenne en cas de déménagement diffère selon l’origine

Les ressortissants des pays voisins — qui forment une part importante de l’immigration — déménagent en moyenne plus loin que les Suisses, que ce soit pour saisir une opportunité professionnelle ou pour trouver un logement plus abordable hors des centres urbains (figure 8). Le fait de parler (au moins) une langue nationale leur offre une certaine flexibilité dans la recherche d’emploi et de logement. En revanche, les migrants originaires d’Espagne, du Portugal, de l’Europe de l’Est ou de Turquie privilégient des déménagements de plus courte distance, favorisant sans doute la proximité à un réseau social déjà établi.

Figure 8

Les étrangers sont plus enclins à déménager dans les petites et moyennes villes et leurs agglomérations

Selon l’enquête représentative Immo-Baromètre réalisée cette année auprès d’un peu plus de 1 000 ménages en Suisse, les ménages d’origine étrangère souhaitent majoritairement s’installer en zone urbaine lorsqu’ils envisagent de déménager. Seuls environ un tiers d’entre eux envisagent un déménagement en campagne contre 40 % des Suisses. Si les deux groupes considèrent les grandes villes dans des proportions similaires, les étrangers se tournent plus souvent vers les agglomérations périurbaines ainsi que vers les petites et moyennes villes, alliant coûts plus abordables et accessibilité satisfaisante — notamment pour les trajets domicile-travail.

Figure 9

Préférences résidentielles : des priorités parfois divergentes

Prix ou loyer, surface habitable, confort et luminosité arrivent en tête des critères de choix pour plus de 90 % des personnes interrogées, indépendamment de leur nationalité. Certaines différences apparaissent toutefois selon la nationalité. Les Suisses accordent davantage d’importance à des aspects liés à la durabilité (matériaux écologiques, énergies renouvelables, électricité verte), mais aussi à la proximité de leur entourage ou à l’offre culturelle (figure 10). Les étrangers, quant à eux, privilégient plus souvent la proximité du lieu de travail, l’accessibilité en voiture ou en transports publics, ainsi que la présence d’écoles dans le quartier (figure 11).

Ces différences reflètent des réalités démographiques : les personnes immigrées sont en moyenne plus jeunes, plus souvent en âge de travailler et ont plus fréquemment des enfants, ce qui explique la priorité donnée à des critères pratiques et familiaux. Les ménages suisses, en revanche, sont en moyenne plus âgés et plus aisés, et attachent une plus grande importance à la qualité du logement et à l’environnement. Ces tendances restent visibles même parmi les familles avec enfants.

Figure 10

Figure 11

Conclusion : la migration stimule la demande locative et la fluidité du marché

La migration dynamise directement le marché locatif. Les personnes issues de l’immigration sont en moyenne plus jeunes, elles ont plus d’enfants, sont majoritairement locataires, moins consommatrices d’espace habitable et davantage enclines à déménager, en particulier vers les villes petites et moyennes et leurs agglomérations. Leur mobilité plus élevée et leurs exigences spatiales souvent moindres leur permettent de s’adapter relativement rapidement aux évolutions du marché. À l’inverse, la population suisse, plus âgée, plus souvent propriétaire ou locataire de longue date, réagit de manière plus lente – probablement aussi en raison d’un ancrage local plus fort.

La demande pour la propriété augmente également

Si la demande des migrants se concentre principalement sur le segment locatif, certains ménages étrangers, notamment issus de classes socio-professionnelles supérieures, pourraient toutefois évoluer après quelques années vers la propriété, voire acquérir une résidence secondaire. Par ailleurs, la pression accrue sur le marché locatif incite une partie de la population (suisse comme étrangère) à se tourner vers la propriété, entraînant un effet positif indirect sur la demande de logements en propriété.

L’immigration et ses effets sur les prix et loyers

La croissance démographique entraîne une hausse des prix du logement en propriété

Lorsque la population augmente, la demande croît dans les deux segments du marché immobilier – ce qui exerce une pression à la hausse sur les prix et les loyers. Selon l’Immo Monitoring (janvier 2025), une hausse de la population de 1 % entraîne une augmentation de 0,88 % des prix des maisons individuelles et de 1,37 % des prix des appartements en PPE. Helfer, Grossman et Osikominu (2023) estiment quant à eux qu’une augmentation de 1 % de la population étrangère — rapportée à la population totale — se traduit par une hausse des prix de 0,9 % à 1,5 % pour les maisons individuelles, et de 1 % à 3,6 % pour les PPE.

Les loyers augmentent également avec la croissance démographique

S’agissant des loyers, Dubois et Weinert (2024) estiment qu’une croissance démographique de 1 % induit une hausse de 1 % des loyers de l’offre (lire l’article dans Swiss Real Estate Journal (en allemand uniquement) : Mietpreisentwicklungen: Auf der Suche nach den fundamentalen Erklärungsfaktoren). Sachant que la demande des migrants se concentre principalement sur le marché locatif, le fait que l’impact sur les loyers soit du même ordre que sur les prix de la propriété peut surprendre. Cela s’explique par le contexte réglementaire : le marché locatif et les loyers sont bien plus régulés que les prix de la propriété, ce qui modère l’ajustement des loyers aux conditions de la demande.

Migration : un facteur parmi d’autres

La croissance démographique influence certes les prix, mais elle n’en constitue pas pour autant le levier principal. Pour la propriété, nos analyses montrent que les déterminants les plus puissants sont le taux hypothécaire, le PIB et l’inflation — avant même la croissance de la population. Sur le marché locatif, ce sont le taux de référence hypothécaire, l’inflation et le taux de vacance qui pèsent le plus. Ainsi, la migration joue un rôle notable dans la dynamique des prix, mais elle s’inscrit dans un ensemble de facteurs économiques plus larges.

Sources de données

Wüest Partner dispose de vastes bases de données qui alimentent les analyses présentées ici et est responsable du calcul ainsi que de la présentation des données. Par ailleurs, les sources de données suivantes ont été utilisées pour cet article :
Bundesamt für Statistik (BFS), Staatsekretariat für Migration (SEM)
Helfer, F., Grossmann, V., Osikominu, A. (2023). How does immigration affect housing costs in Switzerland? Swiss Journal of Economics and Statistics, 159(5). 
Dubois, C., Weinert, R. (2024). Mietpreisentwicklungen: Auf der Suche nach den fundamentalen Erklärungsfaktoren. Swiss Real Estate Journal, (29), Schulthess Verlag.